Dans le débat calviniste-arminien, certains évoquent le compatibilisme comme explication de certaines contradictions apparentes dans les positions avancées. Il serait donc utile de regarder ce qu’est cette philosophie et le rapport qu’elle peut avoir avec notre sujet.
Le compatibilisme est une optique philosophique qui essaie d’intégrer le déterminisme avec la responsabilité morale de l’homme. En vue de comprendre le compatibilisme, il faut donc d’abord comprendre le déterminisme et le problème qu’il soulève en ce qui concerne la responsabilité morale.
Le déterminisme est une optique philosophique qui dit que rien ne peut varier dans l’univers, que tout est déterminé par des conditions préexistantes. Ce qui arrive, c’est toujours et invariablement ce qui devait arriver. Étant donné la situation qui existait juste avant, il ne pouvait pas y avoir d’alternative.
Le déterminisme semble effectivement être juste dans le domaine physique (du moins, au-delà du niveau quantique – mais nous n’allons certainement pas aborder de telles considérations ici). La matière obéit à des lois précises en tout. Il n’y a pas de choix dans le domaine physique.
Mais le déterminisme dans le sens philosophique va plus loin et prétend que même chez l’homme, il n’existe pas de véritables choix.
Quand une personne « choisit » de faire une chose, deux facteurs font que la personne n’aurait pas pu faire autrement : ses dispositions avant de le faire, ainsi que les conditions physiques qui avaient un effet sur la situation.
Dans ce que nous faisons, dans ce que nous pensons, même dans nos réactions, ce qui devait arriver arrive inéluctablement. Il n’y a aucun véritable choix, aucune vraie liberté de « faire autrement ».
Cette philosophie résulte du refus de croire qu’il puisse y avoir chez l’être humain autre chose que de la matière. Puisqu’il n’y a pas de choix dans ce que fait la matière physique, s’il n’y a rien d’autre dans l’être humain, il n’y a pas de choix chez l’homme non plus.
L’optique déterministe semble donc exclure toute responsabilité morale. Comment peut-on dire qu’une personne est responsable de ses choix, si elle ne pouvait pas faire autrement ? Comment dire qu’il existe même une notion du bien et du mal, sur le plan moral, si tout dans l’univers arrive exactement comme il doit arriver ? Il y a des événements qui ne nous conviennent pas (« Je n’ai pas apprécié que cet arbre tombe sur ma voiture »), mais on ne peut pas évaluer la chose en fonction de valeurs morales. (L’arbre n’est pas « mauvais » dans le sens moral, même s’il a écrasé ma voiture, puisqu’il n’a fait que ce qu’il devait faire, étant donné le vent, la place de la voiture, et les autres facteurs de la situation.)
Le compatibilisme a donc été élaboré pour contourner ce problème. Il est censé permettre une optique déterministe tout en disant que le bien et le mal existent sur le plan moral. En gros, le compatibilisme dit simplement que le déterminisme et la responsabilité morale sont compatibles.
Mais le compatibilisme se heurte à au moins quatre grands problèmes :
- D’abord, en ce qui concerne le déterminisme lui-même, c’est une philosophie très problématique. Ce n’est pas une philosophie naturelle.
Elle ne correspond pas du tout à ce que nous avons l’impression de vivre. Même quand nous agissons effectivement en conformité à nos dispositions générales, il nous semble que c’est un choix. Un choix qui n’est pas difficile, peut-être, puisque nous sommes décidés depuis quelque temps sur la question, mais un choix tout de même. - En plus, le déterminisme pose un problème majeur dans l’optique biblique. La Bible enseigne clairement que l’homme n’est pas composé uniquement de matière physique. Nous sommes créés à l’image de Dieu, avec un composant spirituel en plus de nos corps. Il semble même très raisonnable de penser que cette image de Dieu est justement la capacité à choisir.
Les animaux agissent par instinct et la nature inanimée obéit en tout à des lois physiques, mais l’homme peut décider consciemment de ce qu’il veut faire. - Un autre problème avec le déterminisme est qu’il n’est pas possible de formuler une croyance dans cette philosophie sans se mettre en contradiction avec soi-même. Si je ne peux rien choisir, si tout ce que je fais, dis et pense est déterminé de manière absolue, si j’adhère à une telle philosophie, c’est uniquement parce que je suis « programmé » à l’accepter. Je ne crois pas plus qu’un ordinateur croit ce qu’il est programmé d’afficher à l’écran. S’il n’est pas possible d’affirmer d’une manière cohérente sa croyance en une philosophie, cela incite à se demander si la philosophie en question est elle-même cohérente.
- Le compatibilisme, enfin, ne fait qu’ajouter des difficultés logiques, alors qu’il est censé en résoudre. Ceux qui prônent le compatibilisme ne peuvent absolument pas expliquer comment la responsabilité morale est compatible avec le déterminisme. Ils ne peuvent que l’affirmer. Toutes leurs tentatives de montrer comment les deux peuvent cohabiter s’avèrent futiles. Or, en logique, le simple fait d’affirmer une chose sans pouvoir expliquer en quoi l’affirmation est raisonnable ne tend pas du tout à crédibiliser un argument.
Pour toutes ces raisons, le compatibilisme n’est pas une philosophie particulièrement utile. Le déterminisme est difficile à intégrer dans une pensée chrétienne, car cela voudrait dire qu’Adam et Ève ne pouvaient que pécher, que la chute même de Satan était inévitable dans la nature de l’univers.
Inévitablement, une telle philosophie rend Dieu responsable du péché.
Le compatibilisme qui est mis en avant par certains dans le débat calviniste-arminien n’est donc pas le compatibilisme ordinaire.
C’est une philosophie qui s’en rapproche mais qui, le plus souvent, se limite essentiellement au domaine de la conversion, sans inclure le déterminisme d’une manière générale. Le but est de montrer qu’on peut croire en même temps que l’homme est responsable moralement de son état de péché, tout en disant qu’il n’est pas libre de changer cet état.
Seulement, ce compatibilisme théologique se heurte à plusieurs des mêmes problèmes que le compatibilisme ordinaire. Le premier des quatre problèmes soulevés ci-dessus s’y applique et, surtout, le quatrième.
Dans la théologie comme dans la philosophie, le simple fait d’affirmer sa conviction que deux choses qui semblent se contredire totalement sont compatibles ne prouve rien du tout. Une telle approche ne tend même pas à donner une crédibilité à l’affirmation en question.
Mais alors, n’est-ce pas ce que je fais moi-même, en affirmant que l’homme naturel n’est pas capable, en lui-même, d’accepter le salut qui est entièrement l’œuvre de Dieu d’un bout à l’autre, et en même temps que l’homme peut et doit l’accepter et qu’il est responsable de ce choix ?
Ce n’est pas le compatibilisme, mais quelque part il y a un élément de logique qui est similaire : le fait d’accepter deux choses, sans pouvoir expliquer comment les concilier, alors qu’elles semblent se contredire. Qu’est-ce qui me permet de dire que le compatibilisme n’explique rien du tout, puisqu’il se limite à affirmer la compatibilité de deux principes apparemment contradictoires, tout en utilisant une approche tellement similaire ?
Si on s’en tient à la logique, la position éclectique n’est pas plus raisonnable que le compatibilisme théologique. Mais dans la position éclectique, l’affirmation de la compatibilité de ces ceux principes ne vient pas du simple fait de vouloir que les deux soient vrais. Il vient de la conviction profonde que la Bible est vraie et qu’elle est faite pour être comprise sans qu’on ait besoin de recourir constamment à une réinterprétation du sens normal des mots. Et comme nous l’avons vu, de multiples textes de la Bible montrent ces deux vérités.
C’est pour cette raison que je plaide pour l’acceptation de ce que la Bible dit clairement, même quand notre logique nous fait défaut. Puisque de toute façon nous sommes obligés de reconnaître quelque part dans notre système qu’il y a des vérités qui semblent se contredire, autant le faire de la manière la plus simple. Aucun besoin de déformer l’enseignement clair de la Parole en vue de construire une théologie « logique » si, tôt ou tard, on va être obligé tout de même de reconnaître que la logique humaine ne suffit pas.
Avant de clore ces réflexions sur le compatibilisme et l’approche logique qu’il utilise, il serait utile de montrer qu’il n’y a pas besoin d’avoir recours à une telle approche pour concilier la souveraineté de Dieu avec la véritable liberté de l’homme. Certains pensent que là aussi, nous avons deux vérités qui se contredisent et qu’il faut simplement les accepter. Mais ce n’est pas du tout le cas.
Si Dieu est souverain, cela veut dire qu’il a le droit de faire tout ce qu’il veut. Cela va exclure uniquement des actes ou dispositions qui le mettraient en contradiction avec lui-même, notamment avec sa bonté, sa sainteté, son amour, et d’autres aspects de son caractère. (C’est ainsi que la Bible dit, par exemple, que Dieu ne peut pas mentir.) Il est donc libre de faire ce qu’il veut, du moment qu’il n’y a pas de mal dedans.
Si Dieu est tout-puissant, cela veut dire qu’il est capable de faire tout ce qu’il choisit de faire. S’il ne fait pas une chose, c’est par choix, afin de rester fidèle à lui-même, et non par manque de capacité.
Dieu peut-il donc créer des êtres qui sont réellement libres dans leurs actes et leurs choix ? Bien sûr que oui. La seule contradiction entre une telle création et la souveraineté de Dieu serait si Dieu avait été contraint à le faire, ce qui n’est nullement le cas. Il n’y a personne au-dessus de Dieu qui a pu l’obliger à créer des êtres réellement libres. Il l’a fait parce qu’il l’a voulu. Le faire n’est pas en contradiction avec sa souveraineté. Au contraire, c’est une manifestation de sa souveraineté : il l’a voulu, il le pouvait, il l’a donc fait.
Aucun besoin, donc, de se faire des soucis pour accepter, à la fois, que Dieu est souverain et que l’homme est réellement libre.
C’est justement parce que Dieu est souverain qu’il a pu créer des hommes réellement libres.
David SHUTES est pasteur, conférencier et enseignant biblique. Il est professeur à l’Institut Biblique de Genève (IBG), et dans différents instituts africains. Il est l’auteur de plusieurs livres. Vous retrouverez cet article sur son site: http://www.davidshutes.fr . C’est le 2e extrait de son livre : Calviniste, arminien, intermédiaire ou éclectique ?