Annexe : Analyse de Romains 9 et de Hébreux 6

Analyse de deux textes clés de ce débat.

Romains 9

Dieu a choisi de se manifester au monde à travers l’histoire d’Israël. C’est le sens de ce que Paul écrit dans les deux premiers versets de Romains chapitre 3 : « Quel est donc le privilège du Juif, ou quelle est l’utilité de la circoncision ? Considérables de toute manière. Tout d’abord, les oracles de Dieu ont été confiés aux Juifs. » Il détaille davantage en quoi consistent ces oracles (c’est-à-dire, les moyens par lesquels Dieu communique son message à l’humanité) dans le début du chapitre 9 : « …les israélites, à qui appartiennent l’adoption, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses, les patriarches, et de qui est issu, selon la chair, le Christ » (extrait des versets 3 à 5).

Cela ne veut pas dire, et n’a jamais voulu dire, que Dieu voulait le salut d’Israël plus que d’autres peuples. Paul se donne de la peine pour que cela soit très clair dans l’épître aux Romains (voir par exemple Romains 2.11, 3.9, 3.23, 3.29-30, 10.12). L’Ancien Testament nous retrace surtout l’histoire de ce que Dieu a fait à travers Israël (évidemment – c’est là tout le sens d’utiliser Israël comme « oracle »), mais même dans l’Ancien Testament, nous voyons par-ci par-là des indications de ce qu’il a fait auprès d’autres peuples. Le livre de Job se situe certainement pendant la période où les israélites sont en Égypte, mais concerne d’autres peuples au sud et à l’est de la Mer Morte. Dans Luc 4.25-27, Jésus fait remarquer comment Dieu a agi envers d’autres peuples à travers Élie et Élisée. Le prophète Jonas a été envoyé a pratiquement 1000 km de chez lui, pour que Dieu puisse annoncer son message aux hommes de la ville de Ninive. Dans les écrits de Daniel, nous voyons comment Dieu a agi dans le cœur de Nébukadnetsar, un roi païen et cruel qui ne cherchait pas du tout Dieu, mais qui a néanmoins bénéficié de sa grâce.

Les Juifs se sont souvent fait des illusions sur ce point, toutefois. Ils pensaient facilement que Dieu se révélait à eux – et à eux seulement – plutôt qu’à travers eux. De ce fait, leur attitude à l’époque de Paul était que le salut en Christ concernait les Juifs, tous les Juifs, et rien que les Juifs. Si les païens voulaient connaître le salut, ils n’avaient qu’à devenir juifs (d’où la nécessité de la circoncision pour les chrétiens d’origine païenne, prêchée par certains qui contredisaient le message de Paul).

C’est en vue de répondre à cela que Paul écrit les chapitres 9 à 11 de Romains. Le contexte de Romains 9 est donc fondamentalement important en vue de comprendre ce dont il s’agit.

Le choix d’Israël comme oracle (moyen de transmission de son message à l’humanité) est une élection autant que le choix de sauver une personne (ou non) de son péché. Le problème, c’est que trop de personnes, dans le débat calviniste-arminien, pensent que le mot ne peut faire référence qu’à une seule chose. De ce fait, quand ils lisent « choix » (ou « élection ») dans Romains 9, ils pensent forcément choix pour le salut.

Pourtant, ce n’est pas le cas. Le plan de Dieu de se manifester au monde à travers la nation d’Israël est effectivement un choix inconditionnel ; c’est le sens très clair des versets 7 à 13. Mais l’argumentation de Paul dans ce texte est justement de montrer que ce choix n’a rien à voir avec le salut. Il démontre que Dieu utilise qui il veut, par un choix totalement libre et souverain, pour faire son œuvre à travers Israël. Il fait remarquer que cela n’inclut même pas tous les descendants d’Abraham (verset 7). Ceci est important parce qu’à cette époque, beaucoup de Juifs prétendaient être supérieurs aux autres peuples parce qu’ils étaient les descendants d’Abraham. C’est pourquoi Paul écrit explicitement que les Juifs ne sont pas supérieurs (Romains 3.9) et que même en ce qui concerne son programme avec Israël, Dieu n’utilise pas tous les descendants d’Abraham.

Il n’utilise même pas tous les descendants d’Isaac, qui est pourtant le fils de la promesse. Les versets 10 à 12 du chapitre 9 montrent qu’il a choisi, inconditionnellement, de faire son œuvre à travers les descendants de Jacob plutôt qu’à travers les descendants d’Ésaü. « J’ai aimé Jacob et j’ai haï Ésaü », comme il est montré plus haut, n’est nullement une référence aux deux hommes en question, mais au rétablissement d’Israël après la destruction babylonienne, alors que Dieu n’a pas fait la même chose pour Édom (qui existait toujours, et qui se portait même nettement mieux qu’Israël, jusqu’à ce que Dieu rétablisse Israël).

Et même tous les descendants de Jacob ne font pas partie de ce peuple que Dieu utilise pour se révéler au monde. Paul ne développe pas cela en détail, mais il y fait référence dans les versets 27 à 29. Cela nous renvoie à la période des Assyriens, des Babyloniens et des Perses, quand le royaume du nord a été détruit, le royaume du sud a été déporté, et le retour de l’Exil a laissé une très grande partie des Juifs dispersés dans d’autres pays.

La démonstration de Paul ici, c’est que Dieu n’a pas choisi tous les Juifs, même pas dans son choix inconditionnel de se révéler à travers eux. De ce fait, dans la pensée de Paul, il n’est pas du tout raisonnable de penser que sur le plan du salut, Dieu aurait choisi uniquement Israël pour le salut. Dans la dernière partie du chapitre, il tourne son argumentation de plus en plus vers le choix pour le salut et de moins en moins vers le choix de la nation à travers laquelle Dieu se révèle au monde.

Ayant montré que le choix de Dieu en ce qui concerne Israël n’implique nullement qu’il préfère les Juifs aux autres peuples, Paul montre que Dieu est libre de choisir qui il veut pour le salut. Il n’est nullement obligé de calquer son choix pour le salut sur le choix d’utiliser Israël comme oracle. C’est dans ce contexte qu’il introduit, à la fin du chapitre, le critère que Dieu utilise en ce qui concerne le salut : la foi.

Il est donc tout à fait faux, en ce qui concerne le débat calviniste-arminien, d’utiliser des textes de Romains 9, en dehors de leur contexte historique et biblique, pour prétendre que le choix de Dieu dans le salut est inconditionnel. Ce n’est pas du tout le sujet.

Hébreux 6

En ce qui concerne la perte du salut, Hébreux 6.4-6 semble aller bien plus loin que le simple fait de dire que le croyant doit faire attention, doit persévérer dans sa marche avec Dieu, faute de quoi il n’est pas sauvé. Beaucoup d’autres textes qui sont utilisés régulièrement pour soutenir la notion de la perte du salut peuvent se comprendre dans ce sens, et certains semblent même le dire de manière explicite. C’est notamment le cas de 1 Jean 2.19, comme nous l’avons vu : « Ils sont sortis de chez nous, mais ils n’étaient pas des nôtres ; car, s’ils avaient été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous ; mais de la sorte, il est manifeste que tous ne sont pas des nôtres. » Ceux qui se détournent de la foi montrent en le faisant qu’ils n’étaient jamais réellement au Seigneur.

Mais le texte d’Hébreux 6 ne peut pas se comprendre dans ce sens. Les termes dans les versets 4 et 5 sont trop explicites, trop clairs, pour dire honnêtement qu’il s’agit de gens qui n’étaient pas réellement nés de nouveau. En même temps, il semble presque impossible de concilier ce texte avec le reste de ce que la Bible dit sur le sujet. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que pratiquement personne n’essaie de le faire. Même ceux qui utilisent ce texte pour avancer qu’une personne réellement sauvée peut perdre son salut n’acceptent que très rarement l’idée qu’une telle personne ne puisse jamais être sauvée de nouveau. Pourtant, cela est exprimé tout aussi clairement dans le texte que le fait que l’auteur parle de personnes qui étaient effectivement sauvées.

Je suis très persuadé du principe que la vérité doit tenir compte de l’ensemble de l’enseignement biblique, et non uniquement des textes qui soutiennent l’optique voulue. Mais j’avoue que, dans ce cas, ce n’est pas facile. Pourtant, ce n’est peut-être pas impossible.

Hébreux 6 parle de ceux qui sont nés de nouveau et qui se détournent de Dieu. Cela semble être la seule interprétation qui honore le texte (c’est-à-dire, qui n’est pas un exemple plus ou moins flagrant d’eiségèse). Mais en regardant bien, on constate qu’il n’est pas dit qu’il y ait réellement des personnes qui agissent ainsi. Quelle est la différence ? Peut-on parler de ceux qui font une chose sans que cela implique qu’il y en ait qui le fassent ?

Oui. La Bible le fait à plusieurs reprises en ce qui concerne le salut par les œuvres. La Loi de Moïse promet la vie à ceux qui la gardent (Lévitique 18.5, Deutéronome 30.16, voir aussi Ézéchiel 20.11). Paul, adversaire par excellence du principe du salut par les œuvres, en parle plusieurs fois dans ses écrits. Il fait référence aux textes de la loi sur le principe dans Romains 10.5 et Galates 3.12, et il va jusqu’à écrire explicitement, dans Romains 2.13 : « ceux qui pratiquent la loi seront justifiés ». Même Jésus en parle. Quand le jeune homme riche lui a demandé : « Qu’est-ce que je dois faire de bon pour hériter la vie éternelle ? » (autrement dit : « Comment puis-je avoir le salut par mes propres œuvres ? »), Jésus lui dit simplement : « Garde les commandements » (voir par exemple Matthieu 19.15-18). Le principe est très clair dans la Bible : ceux qui gardent la loi de Dieu seront sauvés par leurs œuvres.

Pourtant, tout en parlant de ceux qui le font, la Bible montre très clairement, et à maintes reprises qu’en fait, personne ne le fait, personne ne peut le faire, et donc que personne ne sera sauvé par ce moyen. Il est donc tout à fait possible, et admissible, même dans la Bible, de parler de ce que serait le résultat d’une manière d’agir, sans que cela implique qu’il y en ait qui le fassent dans la réalité.

Il est fort possible aussi que ce soit ce que Jésus fait aussi en ce qui concerne le blasphème du Saint-Esprit. Il en parle, mais il ne dit pas que ceux qu’il met en garde contre cela l’aient fait. En réalité, aucun texte ne dit que quelqu’un l’ait fait. Mais cela reste une mise en garde utile, un avertissement très fort à ceux qui sont engagés dans un mauvais chemin, pour les dissuader d’aller plus loin dans ce sens.

Est-ce possible que dans Hébreux 6 nous ayons un autre exemple du même principe ? Oui. Nous ne pouvons pas dire avec certitude que ce soit la bonne explication de ce texte, mais au moins elle s’accorde avec le reste des textes sur le sujet, ainsi qu’avec le contexte de l’épître. Celui-ci est, après tout, un avertissement très solennel d’un bout à l’autre à ceux qui sont tentés de se détourner de la foi chrétienne, après l’avoir connue. En plus, cela permettrait d’accepter le sens clair du passage (ceux qui sont réellement sauvés et qui s’en détournent sont définitivement perdus) sans qu’il soit nécessaire de réinterpréter le texte pour le rendre conforme à nos théories.

On peut même penser que la suite du texte donne une certaine crédibilité à ce point de vue. Hébreux 6.9 dit : « Quoique nous parlions ainsi, bien-aimés, nous sommes convaincus que vous êtes dans des conditions meilleures et favorables au salut. » Il est tout à fait possible que ce verset signifie que ce qui précède est là uniquement pour monter à quel point il serait catastrophique de se détourner de la foi chrétienne, et non en tant que description de quelque chose qui arrive effectivement dans la réalité.

Une telle interprétation nous permet de concilier Hébreux 6 avec les autres textes sur la perte du salut, tout en donnant encore plus de poids au côté « avertissement fort à ceux qui se disent croyants ». Le salut ne se perd pas s’il est réel, parce qu’il est l’œuvre de Dieu et non la nôtre, mais cela ne donne absolument pas lieu au croyant de se complaire dans la médiocrité, sous prétexte qu’il ne peut pas perdre son salut. Les deux vérités semblent importantes dans le débat, et ne se contredisent pas forcément.

« Dieu veut le salut de tous »

Le fait que Dieu désire le salut de tous a été traité dans pas mal de détails dans ce qui précède, avec suffisamment de textes à l’appui pour l’établir comme un enseignement incontournable de la Parole de Dieu. J’aimerais simplement ajouter ici que certaines explications de ces textes, avancées par ceux qui défendent la position calviniste, ne tiennent pas la route.

Il y a d’abord ceux qui disent que tous veut dire les croyants qui sont issus de tous les peuples, et non uniquement du peuple Juif. Comme nous l’avons vu, cela n’est pas une explication raisonnable pour deux raisons. D’une part, il y a des textes (comme Ézéchiel 33.11) qui indiquent clairement que Dieu veut le salut même de ceux qui ne sont pas ses enfants, et qui ne vont pas le devenir. D’autre part, le nombre de textes qui, dans leur contexte, sembleraient indiquer le contraire est extrêmement faible en comparaison avec le nombre de textes qui montent ou même qui disent explicitement que Dieu veut le salut de tous. Aucun des textes qui peut être utilisé pour dire que Dieu ne veut pas le salut de tous ne le dit explicitement. C’est toujours une interprétation, qui peut se discuter. De ce fait, nous ne pouvons pas nous permettre de réinterpréter de si nombreux textes qui vont dans un sens en faveur de quelques textes faibles qui iraient éventuellement dans l’autre.

Rappelons que c’est un principe d’interprétation qui se justifie quand un ou deux textes semblent contredire tout un ensemble de textes clairs, mais non un principe à utiliser pour écarter tout un ensemble de textes clairs, pour les accorder avec un ou deux textes qui peuvent éventuellement être compris dans l’autre sens. Une telle approche va clairement à l’encontre des principes herméneutiques sains.

Mais il existe une autre explication de ces versets qui est un peu plus fine. Bien sûr, elle s’utilise toujours dans le but d’écarter le sens clair d’un nombre impressionnant de textes, en faveur d’une interprétation qui n’est enseignée explicitement nulle part, ce qui est une herméneutique très douteuse. Cela devrait suffire pour montrer que ce n’est pas une interprétation raisonnable. Elle est pourtant avancée régulièrement ; il vaut donc la peine de l’examiner.

Cette explication consiste à faire la différence entre deux « volontés » de Dieu : ce qu’il veut dans le sens de le décréter souverainement, et ce qu’il veut dans le sens de « ce serait une bonne chose ». Cela leur permet de dire que oui, dans un sens, Dieu veut le salut de tous (parce qu’il est amour), mais dans le sens de ce qu’il fait par décret souverain, il ne le veut pas.

Le grand problème avec cette explication, c’est qu’il n’y a que lorsqu’une personne ne peut pas faire tout ce qu’elle veut que nous puissions parler de « deux volontés » dans ce sens. Cela nous arrive à tous de vouloir une chose, sans avoir le droit de le faire. Cela vient du fait que notre volonté n’est pas souveraine.

Seulement, cet argument est avancé justement par ceux qui disent que la volonté de Dieu est parfaitement souveraine, c’est-à-dire qu’aucune créature n’a le droit ou même la possibilité d’agir à l’encontre de cette volonté. Selon eux, Dieu fait ce qu’il veut et rien ni personne ne peut frustrer sa volonté. Mais dans ce cas, il n’y a aucun sens à parler de « deux volontés » chez Dieu. On ne peut pas dire en même temps que Dieu est absolument souverain, et qu’il est frustré dans ce qu’il « voudrait ».

La conclusion est qu’il n’y a pas moyen de contourner le sens évident de « Dieu veut le salut de tous ». Essayer de comprendre tous autrement que dans son sens normal n’est pas raisonnable, et évoquer la notion de deux sens différents du mot vouloir ne l’est pas non plus. Il y a suffisamment de textes qui affirment clairement cette volonté divine pour qu’on ne puisse pas en douter.

David SHUTES est pasteur, conférencier et enseignant biblique. Il est professeur à l’Institut Biblique de Genève (IBG), et dans différents instituts africains. Il est l’auteur de plusieurs livres. Vous retrouverez cet article sur son site: http://www.davidshutes.fr . C’est le 2e extrait de son livre : Calviniste, arminien, intermédiaire ou éclectique ?