par Dudley WARD
Imaginons la scène suivante : Trois complices braquent une banque, molestent les employés et s’enfuient avec leur butin. Grâce aux caméras de surveillance, ils sont vite arrêtés et se retrouvent ensemble au tribunal où ils ne peuvent qu’avouer leur méfait. Le verdict tombe : Tous pareillement coupables ! Mais la sanction infligée par le juge laisse sans voix : deux des braqueurs écopent d’une juste peine de prison et le troisième est… acquitté !
Un tel jugement ne heurte-t-il pas votre sens de la justice ?
Que dire alors d’une grâce inconditionnelle que Dieu accorderait à certains élus, et refuserait à d’autres ? Il pardonnerait aux uns, alors qu’il laisserait les autres voués à sa juste colère à cause de leurs péchés ?
Alors que tous sont pareillement coupables ?
La faute à notre sens de la justice dévoyé ?
Peut-on sérieusement prétendre que c’est le péché qui dénaturerait notre évaluation de ce qui est juste ou non de la part du Dieu saint et transcendant ? Tous les chrétiens affirment que Dieu est parfaitement juste dans tous les aspects de son être et qu’il agit toujours selon une justice parfaite.
Serait-ce notre sens de la justice qui est faussé ?
D’une façon générale, avouons que même les non-chrétiens ont un sens inné de justice concernant la protection de la vie et de la propriété.
À plus forte raison, les chrétiens, dont l’intelligence a été renouvelée par le Saint-Esprit. Pourquoi Dieu exercerait-il une justice qui va à l’encontre de la conscience que l’être humain a du bien et du mal ?
Or, les théologiens du courant de pensée calviniste affirment que le facteur déterminant dans le salut d’une personne est la décision souveraine de Dieu de lui accorder sa grâce et son pardon ou de l’en priver, selon son bon plaisir. Pour eux, en accordant sa grâce, Dieu ne cherchait pas du tout à savoir si le pécheur avait le désir sincère de se tourner vers lui ou non. Calvin affirme même que lors de la chute, l’homme perdit tout désir de Dieu, donc que de lui-même, personne ne chercherait Dieu.
Que faut-il penser de cela ? Pour répondre, il nous faut examiner toute la théologie dite calviniste, car tout s’y tient de manière cohérente, chaque point amenant logiquement le suivant.
T.U.L.I.P
Le système doctrinal de Jean Calvin est connu sous la forme de l’acronyme TULIP. Il résulte des délibérations du Synode de Dordrecht en Hollande (1619). Un de ses principes affirme clairement que si une personne subit les peines éternelles, c’est principalement parce que Dieu l’a destinée à l’enfer avant même sa naissance. Dieu déciderait donc d’avance de lui refuser le don des grâces nécessaires qui lui permettraient d’échapper à un si funeste sort et de se tourner librement vers lui. Ces grâces sont celles de la repentance, du pardon et de la vie éternelle, que Dieu n’octroierait donc pas à ceux qu’il n’a pas choisis pour cela. Ainsi, Dieu aurait décidé avant l’origine du temps de priver certains individus de toute possibilité de recevoir la vie éternelle. Étonnamment, dans la pensée de Calvin, ce choix divin glorifierait Dieu.
De plus, Jean Calvin enseignait que tout ce qui se passe sur la terre, même les choses les plus coupables et les plus abjectes, s’inscrit dans le plan et le dessein particuliers de Dieu, et exprime sa volonté. Pour Calvin, cet aspect des choses ne doit pas se confondre avec la faculté que Dieu possède de connaître toutes choses d’avance. Il sait notamment comment nos mauvais choix vont influencer ses plans parfaits. Calvin affirmait que Dieu avait décidé et programmé la chute de l’homme. (cf. Institution Chrétienne 3.23)
En 1618-1619, quarante-quatre ans après la mort de Calvin, le Synode de Dordrecht s’est tenu à la demande du parti calviniste, pour fixer ce qu’il croyait être la pensée de Calvin en manière de sotériologie, c’est-à-dire la doctrine du salut. Les calvinistes estimaient que la pensée de Calvin était le seul enseignement fidèle et conforme à l’Écriture. Lors de ce synode, ils cherchaient aussi à se mettre d’accord pour savoir quelle attitude adopter à l’égard des dissidents. Il ne faut pas confondre le Synode de Dordrecht (1618-1619) avec la Confession de Foi de Dordrecht (1632), un jalon important dans l’histoire du mouvement mennonite.
Les cinq points du calvinisme
Voici les cinq points qui concluent le Synode de Dordrecht, définis par les calvinistes eux-mêmes (nous nous efforçons de conserver en français l’acronyme TULIP) :
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Totale dépravation ou incapacité :
À cause de la chute, l’être humain est incapable par lui-même de croire au Seigneur Jésus pour être sauvé. Le pécheur est mort, aveugle et sourd quant aux choses de Dieu. Son cœur est trompeur et désespérément corrompu. Sa volonté n’est plus libre, car elle est esclave de sa nature mauvaise. Il s’ensuit que l’homme ne préférera pas le bien au mal dans le domaine spirituel, il en est même incapable. Point supplémentaire confirmant que l’assistance du Saint-Esprit est nécessaire pour amener un pécheur à Christ : il faut d’abord la régénération par laquelle le Saint-Esprit donne au pécheur la vie ainsi qu’une nouvelle nature qui le rend capable de croire au Seigneur Jésus. La foi n’est pas un facteur qui participe au salut, mais un élément même du don divin du salut. C’est le don de Dieu au pécheur, non le don du pécheur à Dieu. Livré à lui-même, l’être humain n’exprime même pas le désir de chercher Dieu.
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Unilatéralité de l’élection inconditionnelle :
Le choix divin de certains individus pour le salut, avant la fondation du monde, repose uniquement sur la volonté souveraine de Dieu. C’est pourquoi son choix de pécheurs particuliers ne tient pas compte d’une réaction d’obéissance, comme la foi et la repentance, que Dieu aurait pu voir d’avance en eux. Au contraire, Dieu accorde la foi et la repentance uniquement à des individus sélectionnés d’avance ; elles sont donc le résultat et non la cause du choix divin. Donc, « l’élection au salut » n’est pas déterminée par un acte ou un attribut vertueux que Dieu aurait décelés d’avance chez un être humain ni assujettie à eux. Ceux qu’il a souverainement élus, Dieu les amène à accepter volontairement Christ, par la puissance de l’Esprit. Le seul agent dans le salut est donc le choix divin d’un pécheur particulier, et non la décision de ce pécheur à se tourner vers Christ.
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Limitation de l’expiation :
L’œuvre rédemptrice de Christ visait seulement le salut des élus et l’assure efficacement à eux seuls. Sa mort est la rançon pour le péché de certains pécheurs particuliers. Outre la suppression du péché de son peuple, la rédemption opérée par Christ lui accorde tout ce qui est nécessaire à son salut, en particulier la foi qui l’unit à lui-même.
L’Esprit accorde immanquablement le don de la foi seulement à ceux pour lesquels Christ est mort, garantissant ainsi leur salut.
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Irrésistibilité de la grâce et appel efficace de l’Esprit :
En plus de l’appel extérieur et général au salut, adressé à quiconque entend l’Évangile, le Saint-Esprit lance aux élus un appel intérieur particulier qui les conduit infailliblement au salut. L’appel extérieur, adressé à tous sans distinction, est systématiquement rejeté par ceux qui ne sont pas élus, tandis que l’appel intérieur, lancé seulement aux élus, ne peut être repoussé. Il aboutit toujours au salut. Au moyen de cet appel spécial, l’Esprit attire irrésistiblement les pécheurs à Christ. Il n’est pas limité par la volonté de l’être humain dans Son œuvre d’application du salut et ne dépend pas de sa coopération pour la réussite de Son entreprise. L’Esprit est la cause gracieuse qui incite le pécheur à coopérer, à croire, à se repentir et à venir librement et volontairement à Christ. En conséquence, la grâce de Dieu est invincible ; elle a pour résultat immanquable le salut de ceux auxquels elle est accordée.
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Persévérance des saints :
Le salut est accompli par la toute-puissance du Dieu trinitaire. Le Père choisit des gens, le Fils meurt pour eux et le Saint-Esprit rend la mort de Christ efficace en amenant ces gens à la foi et à la repentance par un acte souverain de régénération qui fait qu’ils obéissent volontairement à l’Évangile. Tout le processus d’élection, de régénération, de pleine rédemption et de sécurité éternelle qui en découle est l’œuvre exclusive de Dieu au moyen de Sa seule grâce.
Formulations postérieures de ces points de doctrine
Revenant au premier des cinq points de TULIP, voici un extrait tiré des Canons de Dordrecht, article 3, section 3 :
« C’est pourquoi tous les hommes sont conçus dans le péché et naissent enfants de colère, incapables de tout bien salutaire, enclins au mal, morts dans le péché et esclaves du péché. Et sans la grâce de l’Esprit qui régénère, ils ne veulent ni ne peuvent retourner à Dieu ni corriger leur nature dépravée ni se dispenser à l’amendement de celle-ci. » [1]
Dans cette citation on pourrait facilement passer à côté de l’idée que la régénération précède la capacité de l’être humain d’éprouver le désir de chercher Dieu et de placer sa foi en Jésus-Christ.
Or, Romains 2.4 parle de la bonté de Dieu qui conduit à la repentance plutôt qu’à la régénération.
Plus loin, je m’efforcerai de montrer que la repentance ne dépend ni ne résulte de la régénération, mais qu’elle est une disposition spirituelle qui y conduit.
La Confession de Foi de Westminster est une formulation postérieure de la doctrine calviniste en Angleterre qui fait partie des décisions adoptées en 1647 sous le roi Charles I. Voici comment elle décrit le résultat universel de la chute :
« De cette corruption originelle par laquelle nous sommes complètement déréglés, incapables et ennemis de tout bien et totalement portés à tout mal, procèdent toutes les transgressions présentes. »[2]
Cet extrait des articles de la Confession de Foi de Westminster décrit-il valablement notre propre expérience et le comportement immanquable des inconvertis ?
[1] Les Canons de Dordrecht, Editions Kerygma, Aix-en-Provence, 1988, p. 64.
[2] Les Textes de Westminster, Editions Kerygma, Aix-en-Provence, 1988, p. 15.
Dudley WARD se définit comme missionnaire, engagé avec son épouse Jill dans l’évangélisation, la distribution de littérature, l’encouragement des serviteurs de Dieu dans leur passion pour le ministère chrétien.
Cette série d’articles est tirée du livre de Dudley, « Programmés par Dieu ou libres de le servir ? » aux Editions Oasis (épuisé, mais j’ai encore quelques exemplaires). Vous pouvez écouter son message ici : https://www.youtube.com/watch?v=dh1GFyR72Ck et https://www.youtube.com/watch?v=u-vKC6FwA7g