Herméneutique

par David SHUTES

Il ne s’agit pas ici d’une étude générale de l’herméneutique biblique, mais uniquement de celle qui est spécifique à notre sujet précis : comment choisir entre les différentes possibilités dans la gamme calviniste-arminien ?

De ce fait, nous allons nous contenter de regarder seulement trois principes herméneutiques – qui affectent chacun notre sujet de manière très directe – puis d’un regard sur la différence importante entre la théologie systématique et la théologie biblique. Nous verrons comment cette différence peut affecter notre compréhension du texte.

Faut-il résoudre toutes les contradictions logiques apparentes ?

La première question à se poser concerne les contradictions apparentes, car la réponse que nous donnons à cette question sera un principe herméneutique important dans le débat.

On pourrait penser qu’il faut évidemment résoudre les contradictions. Si deux propositions se contredisent, elles ne peuvent pas être vraies toutes les deux. C’est une des règles les plus fondamentales de la logique. Mais il convient de bien retenir la différence énorme entre contradictions réelles et contradictions apparentes. Ce n’est pas parce que nous ne voyons pas comment concilier deux choses qu’elles ne peuvent pas l’être.

« On ne peut pas concilier l’existence d’un Dieu parfaitement bon avec un monde où il y a tant de souffrances et tant d’injustices ! » Telle est l’une des objections que nous entendons le plus souvent de la part des non-croyants. Ils pensent donc que, logiquement, la foi chrétienne n’est pas rationnelle, parce qu’elle se base sur une contradiction fondamentale. Ils se trompent. La contradiction n’est qu’apparente, et beaucoup de théologiens et de philosophes chrétiens (et même non chrétiens) ont pu expliquer comment les deux affirmations peuvent être vraies en même temps.

Il est vrai que dans le débat sur la conversion, la contradiction apparente est d’un autre ordre que celle entre l’existence d’un Dieu bon et la souffrance dans le monde. Personne ne voit de solution dans le premier cas, tandis que beaucoup en voient une dans le deuxième. Néanmoins, même le fait que personne ne voie de solution pour le cas qui nous occupe ne prouve en rien que celle-ci n’existe pas.

Les limites de la logique humaine

Je ne cherche en aucun cas à discréditer l’utilité de la logique. J’ai été formé en mathématiques avant d’aborder sérieusement la théologie et j’apprécie beaucoup la rigueur de la logique. Elle permet d’éviter bon nombre d’erreurs évidentes. Il y aurait certainement moins d’inepties proférées au nom de la théologie si tous les théologiens avaient une formation de base dans la logique. Celle-ci a une validité incontestable.

Néanmoins, la logique a aussi ses limites. Nous ne savons pas tout. Nous savons même peu de choses par rapport à tout ce qui se fait dans l’ensemble de l’univers. C’est particulièrement vrai quand nous prenons en compte la dimension spirituelle, pour laquelle nous avons si peu d’informations, puisque nous ne pouvons pas l’examiner directement. Nous ne pouvons pas être sûrs, dans ces conditions, que nos raisonnements soient justes.

Pourquoi la logique humaine est-elle si sévèrement limitée ?  

D’une part, la logique est simplement la manipulation légitime des données disponibles. Pourtant, l’information dont nous disposons, en tant qu’êtres humains, est loin d’être complète. Nous ne savons pas tout, et nous ne savons même pas toujours si ce que nous croyons savoir est réellement juste. Or, une logique érigée en fonction d’informations insuffisantes ou erronées peut-elle donner des résultats fiables ?

D’autre part, nos opérations logiques sont-elles toujours si logiques que cela ? On les accepte parce qu’elles semblent l’être, c’est tout. Autrement dit, on suppose la conclusion à l’avance afin de valider la conclusion.
Cela ne prouve rien. Il est donc tout à fait possible qu’une partie de ce qui nous semble manifestement logique ne le soit pas pour autant.

Bien sûr, ce n’est pas une raison pour accepter sans raison convaincante ce qui semble être des erreurs logiques dans nos raisonnements. Quand nous étudions la Bible, il ne s’agit pas de mettre de côté notre capacité de réfléchir d’une manière raisonnable. Si une interprétation des textes ne comporte pas de contradiction, tandis que d’autres en ont, celle qui résout les contradictions logiques est évidemment à préférer.

Mais ce n’est pas toujours possible. Quand toute tentative de résoudre une difficulté conduit à des impasses totalement inacceptables, il faut parfois admettre que les connaissances humaines et le raisonnement humain ne suffisent pas pour tout comprendre. À ce moment-là, il faut continuer à utiliser la raison autant que possible, tout en acceptant ses limites.

C’est ce que nous faisons avec la doctrine de la Trinité, par exemple. Toutes les tentatives de comprendre comment il peut y avoir un seul Dieu conduisent à des hérésies. Pourtant, nous devons admettre la divinité de l’homme Jésus-Christ et du Saint-Esprit autant que celle de Dieu le Père céleste.

Certains croient à plusieurs êtres distincts qui peuvent s’appeler Dieu, ce qui fait de lui une sorte de « Dieu-comité ». D’autres nient la divinité de Christ et du Saint-Esprit, malgré de nombreux textes qui indiquent le contraire. D’autres encore pensent que Dieu change de mode d’existence de temps en temps, bien que la Bible nous montre clairement Père, Fils et Saint-Esprit en même temps (par exemple au baptême de Jésus).

Depuis deux-mille ans maintenant, les théologiens chrétiens essaient de résoudre les contradictions apparentes dans la personne de Dieu et n’y arrivent pas. On s’est donc contenté d’inventer un mot – la Trinité – qui fait référence au fait qu’il n’y a qu’un seul Dieu, que nous voyons dans le Père, dans le Fils et dans le Saint-Esprit. Reconnaissons que ce mot n’explique réellement quoi que ce soit. On est bien obligé d’accepter que la logique humaine ne suffise pas pour comprendre la nature d’un Dieu infini, un Dieu qui existe en dehors de notre temps, de notre espace, et de notre logique.

Il y a en fait de nombreuses questions théologiques qui nous obligent à accepter, pour l’instant, ce qui semble contradictoire, tout en espérant que dans l’éternité nous comprendrons mieux. L’origine du péché, l’incarnation du Christ, la manière précise dont la mort de Christ nous délivre du péché, la relation entre la partie spirituelle et la partie physique d’un être humain, tous ces concepts nous posent des problèmes théologiques pour lesquels aucune solution vraiment satisfaisante ne se présente.

Dans le débat calviniste–arminien, il est à remarquer que tout le monde sans exception est obligé de constater les limites de la logique humaine.

Nous avons vu que le calvinisme fait de Dieu le responsable du péché, puisqu’il pourrait délivrer tout être humain de son état de péché, mais qu’il ne veut pas le faire. Est-ce que cela veut dire que les calvinistes sont des hérétiques ? Non. Ils évitent cette hérésie en répondant, à ceux qui le font remarquer, qu’on ne peut pas se fier à la logique humaine.

Le même principe s’applique aux arminiens. Si l’homme, par sa réponse positive, contribue en quoi que ce soit à son salut, celui-ci n’est plus entièrement le résultat de la grâce. Confrontés à l’implication incontournable de leur théorie d’une dose de mérite humain dans le salut, les théologiens arminiens donnent la même réponse que leurs collègues calvinistes : la logique humaine nous induit en erreur, parce que nous ne pouvons pas tout comprendre.

Comme la position intermédiaire qu’on pourrait en réalité classer dans cette catégorie, la position éclectique implique une contradiction logique. Ce n’est pas un plus grand problème que les contradictions logiques apparentes dans le calvinisme et dans l’arminianisme.

Ainsi, toute tentative de comprendre le mécanisme précis de la conversion nous met face à ce qui semble être bel et bien des contradictions logiques. On ne peut pas les éviter complètement. De même que nous n’arrivons pas à expliquer de manière suffisante l’origine du péché, de même nous n’arrivons pas à expliquer de manière satisfaisante comment l’homme s’en détourne. Nous constatons que le péché existe, et que le salut existe. Mais nous sommes obligés de nous fier à l’enseignement de la Bible et non à la logique humaine, puisque celle-ci nous induit en erreur, quelle que soit la position que nous défendons sur ce sujet.

Pour toutes ces raisons, je ne rejette pas la logique comme moyen d’appréhender la vérité, mais je n’ai pas une confiance absolue en elle non plus. Seul Dieu sait tout, et il nous a révélé, dans sa Parole, ce dont nous avons besoin pour nous approcher de lui. Sa Parole est infaillible, justement parce qu’elle vient d’un Dieu infaillible.

Le principe de base est donc celui-ci : je refuse de m’appuyer sur ma logique humaine, que je sais faillible, pour invalider l’enseignement clair de la Parole de Dieu, que je sais infaillible. Quand la Bible n’est pas claire, ou si un texte semble dire quelque chose qui contredit le reste, oui, je suis prêt à utiliser mon raisonnement humain pour essayer de résoudre la contradiction ou comprendre la vérité. Mais quand Dieu nous révèle de manière répétée un principe dans sa Parole, je dois l’accepter. Tant pis si cela me pose des problèmes de compréhension. L’homme n’a pas besoin de tout comprendre et de tout résoudre. Il a besoin de s’appuyer sur la Parole de Dieu, pour se laisser guider par la seule personne dans l’univers qui puisse tout comprendre et tout résoudre.

Exégèse ou eiségèse ?

L’exégèse biblique, c’est faire ressortir (du préfixe grec « ex », qui veut dire « sortir de ») ce qui est dans le texte. Autrement dit, on étudie le texte pour essayer de comprendre ce qu’il veut dire. L’auteur a mis dans le texte un message qu’il veut communiquer ; l’exégèse fait ressortir ce message. Le résultat de l’exégèse est que notre compréhension des vérités spirituelles est basée sur la Bible.

L’eiségèse est un mot artificiel, construit avec le préfixe grec « eis » qui veut dire « aller dans ». C’est le contraire de l’exégèse : au lieu de faire sortir du texte le sens qui s’y trouve, on met dans le texte le sens qu’on veut y trouver. On s’approche des textes bibliques avec des idées préconçues et on se débrouille pour interpréter les textes en fonction de ces idées. Le résultat de l’eiségèse est que notre compréhension de la Bible est basée sur nos idées dans le domaine spirituel, plutôt que le contraire.

Dans toute étude biblique, il est essentiel de faire de l’exégèse plutôt que l’eiségèse. Au lieu de modifier notre interprétation des textes selon nos idées, nous devons veiller constamment à modifier nos idées – quand il le faut – en fonction de ce qui est dit dans les textes.

Cela semble évident, mais c’est plus facile de faire de l’eiségèse qu’on ne le pense. Quand quelqu’un est conditionné à comprendre tel aspect de la Bible de telle ou telle manière, cette idée devient une sorte de filtre à travers lequel doit passer la lecture de tout texte touchant à ce domaine.Ainsi, toute modification éventuelle des idées préconçues est bloquée d’office.

On pourrait citer d’innombrables exemples de ce principe. Un des plus flagrants qui me vient à l’esprit concerne la consommation de l’alcool. Surtout parmi les anglophones, il y a de nombreux courants chrétiens qui enseignent fortement qu’un vrai chrétien ne doit jamais consommer d’alcool. Confronté avec le texte de 1 Timothée 5.23 (« Cesse de boire uniquement de l’eau, mais fais usage d’un peu de vin »), un des ardents défenseurs de cette position a dit : « Mais Paul n’a pas dit de boire le vin. En fait, il s’agissait de se frictionner le ventre avec. » C’est un exemple clair d’eiségèse : au lieu de former ses opinions en fonction des textes, cet auteur a mis dans les textes l’interprétation qu’il voulait, afin de maintenir les idées qu’il avait déjà.

Je pense que nous faisons tous quelque part de l’eiségèse. Il n’est pas possible de se séparer entièrement des idées que nous avons déjà. Elles continuent d’influencer notre manière de lire les textes. Néanmoins, il est important d’essayer, autant que possible, de s’en défendre. Il faut s’approcher des textes bibliques en faisant tout notre possible pour les lire d’une manière neutre. Il faut tenir compte de tous les principes herméneutiques de base (notamment, prise en compte du contexte), puis essayer de lire le texte en se demandant : « Si je n’avais aucune information ou opinion préalable sur le sujet de ce texte, comment est-ce que je comprendrais ce que l’auteur veut communiquer ? »

En grande partie, le débat calviniste–arminien tourne en rond, sans qu’on s’approche d’un consensus, parce que chacun a tendance à faire de l’eiségèse plutôt que de l’exégèse. Si nous voulons que nos idées soient réellement guidées par la Bible, pourtant, c’est de l’exégèse qu’il nous faut – l’exégèse la plus rigoureuse et la plus impartiale que nous soyons capables de faire.

Un texte difficile interprété par d’autres textes clairs

Le troisième principe herméneutique qu’il nous faut mettre en avant dans ce débat concerne la manière d’interpréter des textes qui semblent aller à l’encontre d’autres textes.

Par exemple, tant de textes bibliques nous enseignent la justification par la foi, sans les œuvres. Pourtant, Jacques écrit que nous sommes justifiés par nos œuvres. De nombreux textes nous montrent clairement que Jésus-Christ est Dieu lui-même, manifesté en chair, mais Jésus dit au jeune homme riche dans Marc 10.18 : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon, si ce n’est Dieu seul. » Malgré tant de passages qui enseignent clairement que le salut nous est donné entièrement par la foi, sans l’accomplissement de rites, Pierre écrit dans 1 Pierre 3.21 que le baptême nous sauve.

Dans tous ces cas, ainsi que tant d’autres qui pourraient être cités comme exemples, les théologiens ne sont pas spécialement bouleversés. Ils interprètent ces textes problématiques en tenant compte de l’enseignement clair de textes nombreux qui nous montrent le principe biblique en question. Cela semble être une sorte d’eiségèse, et peut-être que dans un certain sens cela l’est. Mais c’est une eiségèse où le sens qu’on choisit de lire dans un texte difficile découle, non des idées préconçues, mais d’une exégèse saine. Celle-ci est basée sur une approche herméneutique juste, des textes bien plus nombreux qui nous montrent que ce que le texte en question semble dire ne peut pas être ça.

Ce principe est bon et utile. Nous l’appliquons constamment dans la vie, même en dehors de la lecture biblique, sans même y penser : confrontés à quelque chose qui semble contredire ce que nous savons, nous l’interprétons en fonction de l’ensemble des informations disponibles, en vue d’éliminer ce qui semble être une contradiction. Si, par exemple, nous savons que tel ami est parti en Australie pour six mois, et nous croyons l’avoir vu au loin en ville, nous nous disons : « J’ai dû me tromper ; ce n’était sûrement pas lui, mais seulement quelqu’un qui lui ressemblait un peu. » Même si cela ne correspond pas à ce que nous pensons avoir vu, c’est plus raisonnable que : « Il revient parfois en cachette pour se promener en ville, sans rien dire à personne. »

Néanmoins – et c’est ici l’aspect fondamental de ce principe en ce qui concerne notre sujet ici ,  ce principe est à utiliser quand on est en présence d’un nombre extrêmement limité de textes (un ou deux) semblant contredire de nombreux autres textes clairs. Il n’est vraiment pas à utiliser pour invalider une dizaine ou une vingtaine de textes, simplement parce que ce qu’ils semblent dire va à l’encontre de notre théologie. Surtout si celle-ci se base sur une interprétation qui ne découle pas de manière évidente d’un nombre plus important de textes. Si nous réinterprétons une vingtaine de textes, parce que deux ou trois textes peuvent éventuellement être compris dans un autre sens, il est évident qu’il s’agit de l’eiségèse et non de l’exégèse. Nous cherchons alors à éviter tout bonnement le sens qui découle clairement du texte.

Les risques de la théologie systématique

Il y a deux manières différentes d’apprendre des enseignements théologiques à partir de la Bible. On les appelle la théologie biblique et la théologie systématique. Il est utile de comprendre la différence entre les deux, ainsi que les difficultés que présente chacune.

La théologie biblique consiste à étudier ce que la Bible enseigne en suivant les livres bibliques, les uns après les autres (bien que ce ne soit nullement nécessaire de le faire dans l’ordre où les livres se trouvent dans la Bible). On ira d’un bout à l’autre de chaque livre, en vue de comprendre ce que disent les textes, en passant par toutes les doctrines différentes qui se trouvent éparpillées dans les livres. Ainsi, en étudiant l’épître aux Romains, par exemple, on va aborder la christologie (la doctrine sur la personne de Christ), la sotériologie (l’enseignement sur le salut), la hamartiologie (l’étude de ce qu’est le péché), l’anthropologie (l’étude de la nature humaine), l’eschatologie (la doctrine au sujet de l’avenir, surtout l’avenir final, y compris le passage dans l’éternité), la pneumatologie (l’œuvre du Saint-Esprit), l’ecclésiologie (l’étude du fonctionnement d’une église locale), la missiologie (l’enseignement sur la manière de faire une œuvre missionnaire, ainsi que les raisons pour le faire), et d’autres doctrines encore. Le tout sera abordé dans ce seul livre biblique, et chaque sujet ne sera même pas abordé en un seul bloc. En plus, aucun de ces sujets ne sera abordé de manière exhaustive ; il faudra prendre en compte d’autres passages dans d’autres livres bibliques, qui compléteront l’enseignement trouvé dans l’épître aux Romains.

En résumé, la théologie biblique – le fait d’étudier la totalité d’un livre après l’autre – permettra d’apprendre ce que cette partie de la Bible enseigne sur toutes les doctrines qui y sont abordées. Mais aucune doctrine ne sera abordée dans sa totalité dans un seul endroit.

La théologie systématique, c’est le fait d’étudier une doctrine après l’autre, en regroupant l’ensemble des passages qui se trouvent éparpillés à différents endroits dans les Écritures afin de voir tout ce que la Bible enseigne à ce sujet. Au lieu de suivre un livre dans l’ordre, à travers toutes les doctrines abordées, on va suivre une doctrine à travers tous les livres ou parties de livres où elle est abordée.

La théologie biblique et la théologie systématique sont en quelque sorte la trame et la traverse de l’enseignement biblique : on approfondit l’enseignement d’un livre biblique en suivant le fil du livre à travers toutes les doctrines différentes, ou on étudie une doctrine, en suivant les textes pertinents à travers tous les livres bibliques différents où ils se trouvent.

Chacune de ces approches de la théologie a ses avantages et ses inconvénients :

La théologie biblique permet beaucoup plus facilement de s’assurer que l’idée qu’on se fait d’un texte découle effectivement du contexte. Elle permet aussi d’aborder l’ensemble des enseignements dans la Bible et non uniquement les sujets qu’on a envie d’approfondir. Mais son grand inconvénient, c’est le temps qu’il faut pour arriver au point où l’on peut dire avec une certaine confiance qu’on sait ce que la Bible dit sur tel ou tel sujet. Même l’étude d’un seul livre biblique, comme l’épître aux Romains dont on vient de parler, peut facilement prendre une année entière, à moins de disposer de suffisamment de temps pour ne faire pratiquement que ça. Et ce n’est qu’un livre sur soixante-six.

La théologie systématique permet de voir l’ensemble de ce que la Bible dit sur un sujet, alors que le sujet est peut-être éparpillé un peu partout aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament. Le sens sera donc bien plus clair. En plus, cette approche permet d’apprendre beaucoup plus rapidement l’essentiel de l’enseignement biblique. Une centaine d’heures d’études, avec quelques livres sérieux de théologie systématique ou en suivant des cours avec des professeurs compétents, permettront de faire le tour des grands enseignements théologiques de la Bible. Bien sûr, il sera toujours possible d’approfondir, mais après une centaine d’heures de travail, on aura une compétence générale en théologie. C’est pour cette raison que la quasi-totalité des structures de formation utilisent la théologie systématique. Au lieu de prendre vingt ou trente ans pour devenir compétent, on le devient au bout d’un an ou deux.

Mais chacune de ces approches comporte ses risques aussi. Le grand risque avec la théologie biblique est que peu de gens s’y appliqueront assez longtemps pour arriver à quelque chose de sérieux. Mais le grand risque avec la théologie systématique – et c’est ce qui nous concerne le plus ici dans notre étude du débat calviniste-arminien – c’est qu’il est possible d’utiliser cette approche pour enseigner n’importe quoi. Avec la théologie systématique, je peux présenter de manière convaincante l’évangile de la prospérité, le salut par les œuvres, ou plein d’autres hérésies encore. Le tout, c’est de choisir les textes que je veux et d’en donner l’interprétation que je veux. Ainsi, dans ce texte, ai-je réellement tenu compte du contexte de chaque passage ? Ou bien ai-je abordé uniquement des passages qui vont dans mon sens, en laissant volontairement de côté des passages qui ne me donneraient pas raison ? Si mes lecteurs n’ont pas fait suffisamment de théologie biblique pour discerner les erreurs, ils ne le sauront pas.

La théologie systématique a incontestablement sa place dans l’enseignement biblique. D’ailleurs, dans la prochaine section, nous allons en faire. Je peux difficilement condamner cette approche alors que je l’utilise moi-même. Mais en comprenant le risque qu’elle comporte, il convient de se méfier. Ce n’est pas parce qu’on a vu une démonstration très convaincante de ce que la Bible semble dire sur ce sujet qu’on peut forcément discerner que c’est juste. Le nombre de versets cités à l’appui de la thèse n’y change rien. Si on sait que celui qui a présenté une thèse a fait suffisamment de théologie biblique pour savoir de quoi il parle en théologie systématique, on peut éventuellement l’accepter provisoirement. Mais ce n’est que quand on aura fait soi-même suffisamment de théologie biblique avec une herméneutique saine qu’on pourra l’adopter définitivement.

Ceci constitue un grand problème dans le débat calviniste-arminien (comme dans pas mal d’autres débats théologiques, soit dit en passant).
Les gens optent pour une position via la théologie systématique, et la communiquent à d’autres par le même moyen, et le système se perpétue. La position en question devient une idée fixe, le filtre à travers lequel tout doit passer, et la véritable exégèse devient de plus en plus difficile. Il est alors de plus en plus facile de voir dans les textes ce qu’on a été conditionné à voir et donc de faire de l’eiségèse, même sans s’en rendre compte.

Dans ce qui suit, donc, il ne faut pas tout prendre comme argent comptant. Ma position est le résultat de plus d’une trentaine d’années de théologie biblique, mais ceux qui ne me connaissent pas n’ont aucun moyen de vérifier cela. Chacun doit faire pour lui-même de la théologie biblique : étudier les livres bibliques, d’un bout à l’autre, livre après livre, année après année, en vue de comprendre pour lui-même ce que la Bible dit sur le sujet. En le faisant, il est quasi-certain de découvrir que l’enseignement biblique sur le sujet n’est pas aussi simple que ce que beaucoup prétendent, aussi bien du côté calviniste que du côté arminien.

David SHUTES est pasteur, conférencier et enseignant biblique. Il est professeur à l’Institut Biblique de Genève (IBG), et dans différents instituts africains. Il est l’auteur de plusieurs livres. Vous retrouverez cet article sur son sitehttp://www.davidshutes.fr . C’est le 2e extrait de son livre : Calviniste, arminien, intermédiaire ou éclectique ?