La prédestination est un sujet qui est très mal compris, et utilisé dans le débat calviniste-arminien d’une manière qui ne tient absolument pas compte de ce que disent les textes. La prédestination est en fait un enseignement biblique très important, mais qui ne signifie pas du tout ce que la plupart des gens pensent.
Commençons par remarquer que le mot est relativement rare dans le Nouveau Testament. Il n’apparaît que six fois, dont deux fois dans le même texte.
Deux de ces usages, dans Actes 4.28 et 1 Corinthiens 2.7, parlent du fait que Dieu avait ordonné d’avance le plan de salut de l’humanité par la mort de Christ.
Ces deux passages, bien que très importants sur le plan théologique, n’ont aucun rapport avec le débat calviniste-arminien et précisément avec la question de savoir qui peut être sauvé et qui ne le peut pas.
Cela nous laisse quatre utilisations du mot, tous les quatre dans les écrits de Paul. Il l’utilise deux fois dans Romains 8 (dans les versets 29 et 30, qui vont clairement ensemble) et deux fois dans Éphésiens 1 (versets 5 et 11).
Dans chacun de ces textes, il est effectivement question des croyants qui sont prédestinés. Il convient donc de voir de quoi il s’agit dans chaque texte.
Il y a deux questions qui vont guider notre examen des textes :
« À quoi les gens en question sont-ils prédestinés ? » et « Qui, précisément, est prédestiné à ce dont il est question ? » On pourrait penser que l’ordre logique pour examiner ces deux questions serait l’inverse, mais nous verrons que c’est plus facile de comprendre l’enseignement de Paul en examinant le quoi avant le qui.
Dans Romains 8.29-30 (les deux versets font clairement partie d’un même passage), il s’agit d’être prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, c’est-à-dire du Fils de Dieu, Jésus-Christ. Dans Éphésiens 1.5 il s’agit d’être prédestinés à être adoptés, et dans Éphésiens 1.11-12, Paul parle d’être prédestinés afin que nous servions à célébrer sa gloire. Nous allons voir ce qu’il entend par ces termes.
Le fait que tous ces textes proviennent du même théologien nous simplifie le travail, puisqu’il arrive parfois que deux auteurs utilisent le même mot dans des sens assez différents. Ce n’est pas le cas ici ; nous pouvons comprendre ce que Paul dit dans ces textes en comparant ce qu’il écrit avec ce qu’il écrit ailleurs.
Les termes dans Romains 8.29 ne sont pas compliqués. Être conformes à l’image de Christ est assez clair. Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous serons en tous points comme Christ ; il est Dieu et nous ne le sommes pas. Mais dans la théologie de Paul, l’accent est mis sur l’espérance et précisément sur le fait que l’aboutissement de l’œuvre de salut en nous est de nous rendre parfaits dans la sainteté. Parmi les textes les plus clairs : dans Colossiens 1.22 il dit que nous serons saints, sans défauts et sans reproches quand nous entrerons dans la présence de Dieu, dans Colossiens 1.28 il dit que le but de l’évangile est de rendre tout homme parfait en Christ, et dans Philippiens 3.12, il dit explicitement que son but – qu’il reconnaît volontairement ne pas encore avoir atteint – est la perfection. Dans le contexte de cette optique théologique, il est facile de comprendre qu’il parle d’être conformes à l’image de Christ dans le sens de la sainteté, avec tout ce que cela implique de communion parfaite avec Dieu, d’obéissance en tout à sa volonté, et de confiance totale et sans réserve dans la bonté de Dieu. Romains 8.29 parle donc de la prédestination en vue de devenir parfaitement saints.
Dans Éphésiens 1.5, Paul parle d’être prédestinés à être adoptés. Ici, le sens est un peu moins clair. De quoi s’agit-il ?
En fait, il nous fait comprendre ce qu’il entend par adoption dans Romains 8.23 où il la situe dans l’avenir. C’est quelque chose que les croyants attendent, dans le sens dont Paul utilise le mot, et non quelque chose qui est déjà une réalité. L’ensemble du passage, qui s’étend du verset 19 au verset 25, développe la notion de vivre la vie chrétienne en fonction de l’espérance d’atteindre pleinement, un jour, tout ce que Dieu a prévu pour les croyants. L’adoption, dans la théologie de Paul, n’est pas le fait de devenir enfants de Dieu. L’apôtre montre dans Romains 8.14-17 que nous le sommes déjà ; dans ces versets il dit même que nous avons reçu un esprit d’adoption, même si dans les versets suivants il montre que le plein accomplissement de cette adoption est encore futur. L’adoption pour Paul est le fait d’entrer pleinement et définitivement dans la relation filiale que nous ne connaîtrons que quand nous serons dans la présence de Dieu, totalement délivrés du péché.
Dans Éphésiens 1.11-12, pour finir, Paul parle d’être prédestinés afin que nous servions à célébrer sa gloire. Ici encore, ce n’est pas parfaitement clair ce qu’il veut dire, mais une fois de plus, Romains 8 nous aide. (Décidément, c’est le texte par excellence pour comprendre l’espérance dans la théologie de Paul.) Dans le texte de Romains 8.29-30, Paul décrit l’enchaînement de ce que Dieu fait dans la vie d’une personne en vue du salut. Le processus commence dans sa prescience (« ceux qu’il a connus d’avance »), se poursuit avec la prédestination, l’appel et la justification, et se termine avec la glorification.
La gloire de Dieu, dans la pensée de Paul (et même dans l’ensemble de la Bible) semble être la pleine manifestation, de manière visible, de la perfection invisible de Dieu. La glorification, dans le salut, est donc la transformation finale quand le croyant entre dans l’éternité, qui termine l’œuvre de salut et délivre le croyant définitivement de toute trace de péché, pour qu’il soit réellement saint. « Servir à célébrer la gloire de Dieu », dans Éphésiens 1.11-12, fait donc référence à cette manifestation finale et parfaite de la perfection de Dieu en nous.
En ce qui concerne le quoi de la prédestination, donc, la réponse est claire. La prédestination se fait en vue de l’aboutissement final de l’œuvre du salut, c’est-à-dire la perfection dans la sainteté.
Dans les trois passages où Paul utilise le terme (les seuls passages dans la Bible où il est question de prédestination pour les êtres humains autres que Christ), la prédestination ne parle pas de la conversion (l’entrée dans le processus du salut), mais de la destination finale du croyant.
La traduction française du mot, « prédestination », correspond donc bien à l’usage que Paul en fait. Il s’agit de fixer d’avance la destination. « Pré-destiner » est donc un terme parfait pour exprimer cette idée.
Qui, donc, dans les textes de Paul, est prédestiné à cette sainteté parfaite qui consiste à être conformes à l’image de Christ ? Qui est prédestiné à entrer pleinement dans la relation filiale avec Dieu par l’adoption, et à « célébrer la gloire de Dieu » ? La réponse est importante. Elle est peut-être surprenante aussi, du moins pour certains.
Dans Romains 8.29-30, ceux qui sont prédestinés sont ceux que Dieu a connus d’avance. C’est ce même groupe qui est appelé, justifié et glorifié. Autrement dit, la prédestination concerne les rachetés.
Dans Éphésiens 1.5, Paul parle de nous. Ce mot renvoie aux versets 3 et 4 qui sont très clairs : il s’agit des croyants, de ceux qui bénéficient de ce salut que Dieu a mis en place avant la fondation du monde (la prescience de Dieu, dont il est question dans Romains 8.29, nous montre qu’il n’est pas du tout difficile pour Dieu de préparer de manière très personnelle le salut de ceux qui vont se convertir). La prédestination concerne ceux qui sont appelés à devenir saints et sans défauts devant lui. (le mot dans le texte original parle d’être dans sa présence, et non simplement de la manière dont il nous voit).
Dans Éphésiens 1.11-2, pour finir, Paul dit précisément que ceux qui sont prédestinés à célébrer la gloire de Dieu, c’est « nous, qui d’avance avons espéré en Christ ». (Le mot d’avance signifie déjà, dans le sens de ceux qui ont espéré en Christ avant d’atteindre cette glorification, et non « avant la fondation du monde ».) Il s’agit clairement des croyants.
Dans les trois passages, donc, ce sont les croyants qui sont prédestinés. Il n’est jamais question de non-croyants qui sont prédestinés à devenir croyants, mais de croyants qui sont prédestinés à aller jusqu’à la perfection dans la sainteté.
Cela veut dire que la prédestination, dans la Bible, n’est pas du tout l’équivalent de l’élection. La plupart des gens voient les deux termes comme plus ou moins interchangeables, mais il n’en est rien.
L’élection, comme nous l’avons vu, concerne le choix de Dieu pour le salut. Ce choix se base sur la foi : Dieu a choisi d’accepter tous ceux qui viennent à lui par la foi. L’élection concerne effectivement les non-croyants qui vont devenir croyants. Mais la prédestination concerne la suite du processus : une fois que nous sommes devenus croyants, quelle est la destination finale qui nous est fixée ?
Les calvinistes et les arminiens ne sont pas du tout d’accord sur la manière dont l’élection se fait. Pour les calvinistes, c’est en fonction d’un choix souverain de Dieu qui n’a rien à voir avec la disposition du cœur humain, tandis que pour les arminiens c’est en fonction de la réponse de l’être humain, par la foi, à l’offre du salut. Mais les deux groupes devraient être d’accord sur le sens de la prédestination. Un examen attentif des contextes où le terme est utilisé montre qu’il n’y a pas vraiment de rapport avec les questions qui séparent ces deux optiques théologiques.
Autrement dit : on peut avoir des opinions différentes quant à ceux qui peuvent se convertir, mais quel que soit le critère qui permet à Dieu de les accepter (leur réponse de foi, ou le choix souverain de Dieu), la nature du salut qu’ils reçoivent est fixée d’avance. Il ne s’agit pas simplement d’être pardonné de nos péchés pour aller au ciel, mais d’être pleinement et définitivement transformés, totalement délivrés du péché dans toutes ses formes subtiles et pernicieuses.
On peut illustrer la différence entre l’élection et la prédestination avec l’exemple d’un voyage en avion. L’élection parle de ceux qui ont le droit de monter dans l’avion, tandis que la prédestination parle de la destination finale de l’avion. Certains pensent que ceux qui vont monter dans l’avion n’ont aucun choix dans cela, d’autres disent au contraire que cela dépend de chacun. Mais cela ne change rien par rapport à la destination finale. On peut prendre la position qu’on veut sur l’élection, le but final du voyage de la foi est bien fixé à l’avance : c’est la perfection dans la sainteté.
La doctrine de la prédestination est donc un enseignement très utile et même précieux, car elle nous empêche de modifier le salut (comme cela se fait tant de fois) pour en faire un salut humain qui se limite à nous rendre heureux en nous évitant les conséquences (notamment la punition) de notre péché. Ce qui est dommage, c’est que dans la pensée de trop de croyants, « prédestination » en est venu à signifier un choix arbitraire d’un Dieu qui ne veut pas sauver tout le monde. De ce fait, le véritable sens de cette doctrine si importante est presque totalement négligé dans nos milieux.
Le mot prédestiné, en soi, ne répond nullement à la question de savoir si l’homme peut accepter librement le salut ou non, mais il montre que pour ceux qui l’acceptent, ils ne se convertissent pas à n’importe quoi. Ils ne peuvent pas changer la destination en prétendant que le but du salut est simplement d’éviter l’enfer, ou de vivre une vie heureuse dans ce monde ou après la mort. Le but du salut est de devenir comme Christ, d’entrer pleinement dans la relation d’enfants de Dieu, et de manifester parfaitement sa gloire. C’est à cela que nous sommes prédestinés, que nous soyons calvinistes, arminiens, intermédiaires ou éclectiques.
David SHUTES est pasteur, conférencier et enseignant biblique. Il est professeur à l’Institut Biblique de Genève (IBG), et dans différents instituts africains. Il est l’auteur de plusieurs livres. Vous retrouverez cet article sur son site: http://www.davidshutes.fr . C’est le 2e extrait de son livre : Calviniste, arminien, intermédiaire ou éclectique ?