par David SHUTES
Les grands enjeux, les questions sur lesquelles le débat se porte, sont plus ou moins standardisés depuis l’époque des partisans de Jean Calvin et de Jacob Arminius. Les calvinistes, les premiers, les ont formulés autour de cinq points. Les arminiens, en réponse, ont formulé leur propre système en fonction des mêmes cinq points,avec évidemment d’autres réponses.
Nous verrons par la suite qu’on pourrait éventuellement y ajouter un sixième point. Nous nous contenterons des cinq points utilisés habituellement pour définir le débat, car ce sujet peut fort bien s’examiner aussi comme une implication relativement évidente des points 2 et 3 de la liste classique.
- L’homme pécheur peut-il accepter le salut ou non ?
- Élection conditionnelle ou inconditionnelle
- Christ est-il mort pour tous ?
- L’homme peut-il refuser le salut ?
- Peut-on perdre le salut ?
Voici, brièvement, la nature du débat pour chacun de ces points :
L’homme pécheur peut-il accepter le salut ou non ?
On pourrait avoir l’impression que la réponse à cette question est forcément affirmative, et que la question ne se pose même pas. Puisqu’il y a des millions de personnes qui sont sauvées, il est évident que chacune d’elles a accepté le salut.
Pourtant, ce n’est pas aussi simple. L’enjeu de base ici est de savoir à quel point le péché affecte notre nature. Nous sommes tous pécheurs de naissance, certes, mais le péché affecte-t-il notre comportement uniquement, ou aussi notre disposition à vouloir marcher avec Dieu ?
Si nous disons qu’il n’affecte pas notre disposition à nous soumettre à Dieu, cela voudrait dire que l’homme naturel pourrait choisir spontanément de se détourner du péché. Si c’est le cas, c’est que l’homme n’est pas fondamen-talement disposé à rejeter Dieu. Autrement dit, il n’est pas foncièrement pécheur. Il pèche, mais il pourrait choisir librement de s’en détourner.
En revanche, si nous disons que notre disposition à faire confiance à Dieu et à marcher avec lui est corrompue depuis la naissance par le péché qui nous affecte tous, cela implique incontestablement que l’homme pécheur n’accepterait jamais de se soumettre à Dieu, même si l’option lui est proposée. Sans une intervention divine, aucun pécheur n’accepterait de se repentir et revenir à Dieu. Le terme théologique dont il est question ici est la dépravation totale.
Ceux qui soutiennent ce concept disent que le péché affecte la totalité de l’homme pécheur, y compris sa volonté, et notamment sa disposition à accepter le salut. Ceux qui refusent la dépravation totale admettent sans hésitation que tout homme est pécheur, mais pensent que même un pécheur peut éventuellement accepter librement le salut en Christ, s’il arrive à comprendre de quoi il s’agit.
Élection conditionnelle ou inconditionnelle
En tant que terme théologique, élection signifie tout simplement choix. Ce point du débat serait plus clair pour les non-théologiens si on parlait de choix conditionnel ou de choix inconditionnel, mais le vocabulaire théologique est fixé depuis longtemps. Nous utiliserons donc le terme élection tout en comprenant que cela veut dire choix, ni plus ni moins.
Bien évidemment, Dieu aurait le droit de refuser le salut à tout le monde. L’homme s’est détourné de lui par le péché ; il n’a donc absolument aucun droit de revenir à la relation avec Dieu qu’il a abandonnée. Tout comme le fils prodigue, il n’est plus digne d’être compté parmi les enfants de Dieu. Si donc le salut nous est offert, c’est parce que Dieu choisit de le faire. C’est dans ce sens qu’on parle d’élection : le terme fait référence à ceux que Dieu a choisi de sauver.
Mais qui choisit-il pour le salut ? Choisit-il de sauver tous ceux qui se conforment à tel ou tel critère, ou choisit-il librement de sauver certains et non d’autres, selon son bon plaisir, sans que le choix repose sur quoi que ce soit chez ceux qui sont sauvés ?
S’il y a un critère, on dit que le choix est conditionnel, c’est-à-dire que Dieu choisit de sauver ceux qui remplissent une certaine condition. Normalement, du moins parmi les évangéliques, le critère en question est celui de la foi en Christ. L’élection conditionnelle signifierait donc que Dieu a choisi de sauver tous ceux qui viennent à lui par la foi en Christ.
L’élection inconditionnelle, en revanche, voudrait dire qu’il n’y a pas de critère, du moins du côté des hommes. Autrement dit, Dieu ne choisirait pas d’accorder le salut à telle personne en raison de sa foi, et de le refuser à telle autre personne parce qu’elle n’a pas la foi. Son choix serait indépendant de la foi des hommes. À ce moment-là, la foi devient un résultat du salut et non un élément du moyen du salut : Dieu opérerait une transformation unilatérale chez ceux qu’il a choisi de sauver, de manière qu’ils aient la foi. Mais sans le choix de Dieu de les sauver, ils n’auraient jamais eu la foi.
Dans le fond, en termes assez brutaux, l’élection inconditionnelle signifie que le choix de Dieu serait arbitraire. Dieu aurait pu tout aussi bien en choisir d’autres, puisque c’est lui qui fait tout chez ceux qu’il veut sauver.
Il opère la régénération, il leur donne la foi, il produit la repentance,
il pardonne et il donne la vie éternelle. Tout cela sans qu’il y ait eu quoi que ce soit chez la personne choisie qui aurait eu une influence quelconque sur le choix de Dieu de la sauver.
C’est ici qu’on pourrait éventuellement ajouter un point supplémentaire : Dieu veut-il le salut de tous les pécheurs ? C’est un aspect très important du débat, après tout. Ce n’est pas essentiel de le mettre à part, toutefois, puisqu’il est impliqué dans la réponse donnée par rapport à l’élection :
- Si Dieu choisit certains pour le salut, sans qu’ils aient à avoir la foi, c’est qu’il pourrait sauver n’importe qui. Dans cette optique, il n’a pas besoin d’une réponse de foi, puisque c’est lui, Dieu, qui donne la foi à ceux qu’il choisit de sauver. Dieu étant souverain, il fait ce qu’il veut. Si donc il ne sauve pas certains, alors qu’il le pourrait s’il le voulait, c’est qu’il ne le veut pas. L’élection inconditionnelle implique donc sans conteste que Dieu ne veut pas le salut de tous.
- En revanche, s’il accepte tous pour le salut, à condition qu’ils viennent à lui par la foi en l’œuvre de Christ, c’est qu’il veut bien le faire. Par conséquent, l’élection conditionnelle indique que Dieu veut le salut de tous, aussi clairement que l’élection inconditionnelle implique le contraire. Il est donc utile de se poser la question si Dieu veut vraiment le salut de tous, mais dans le fond ce n’est qu’une reformulation de la question de l’élection conditionnelle ou inconditionnelle.
Christ est-il mort pour tous ?
Ce point découle lui aussi du précédent : si Dieu n’a jamais prévu de sauver certains hommes, puisqu’il ne le veut pas, il semble parfaitement logique de dire que la mort de Christ n’est pas pour eux. C’est presque un pléonasme : si Dieu n’a pas prévu de les sauver, Christ n’est pas mort pour les sauver.
En revanche, si Dieu veut le salut de tous et sauve tous ceux qui correspondent à un certain critère (la foi), qui relève d’eux et non de l’œuvre unilatérale de Dieu, il est tout aussi raisonnable de dire que Christ est mort pour tous. C’est ce que le langage théologique appelle la rédemption illimitée.
Ce n’est pas du tout la même chose que la doctrine de l’universalisme, qui enseigne que tous seront sauvés, sans exception. L’universalisme étant pour ainsi dire impossible à concilier avec ce que la Bible semble enseigner clairement et à maintes reprises, il ne fait pas partie des croyances qui se trouvent normalement dans les milieux évangéliques.
Mais la doctrine de la rédemption illimitée n’enseigne pas et n’implique pas l’universalisme. Elle maintient uniquement que la mort de Christ permettrait potentiellement le salut de quiconque, et non que le salut d’une personne donnée ait effectivement lieu. Cela dépendra de l’acceptation par la personne de cette offre de salut, ce qui nous renvoie à l’élection conditionnelle.
Ainsi, tout comme la question de savoir si Dieu veut le salut de tous, il ne serait pas obligé que celle-ci figure dans la liste des enjeux fondamentaux du débat calviniste-arminien. Elle découle directement de la réponse donnée en ce qui concerne l’élection. Mais historiquement, elle a été formulée à part, tandis que le désir de Dieu de sauver tous les hommes ne l’a pas été. En suivant l’énumération traditionnelle, il est donc utile de l’inclure dans la liste.
L’homme peut-il refuser le salut ?
Ce point est en quelque sorte le contrepoint du deuxième point, l’élection conditionnelle ou inconditionnelle, qui explore la question de ce que l’homme peut faire pour influencer son acceptation par Dieu. Ici, il s’agit de voir la même question dans l’autre sens : si Dieu choisit de sauver quelqu’un, cette personne peut-elle refuser le salut, et persister jusqu’au bout dans son péché ?
Si on pense que le choix de Dieu est d’accepter de sauver tous ceux qui viennent à lui par la foi (élection conditionnelle), ce point-ci n’a plus tellement de sens. Le choix du salut reposant en fin de compte sur l’homme et non sur Dieu, il est évident que l’homme peut le refuser. Mais si on accepte l’élection inconditionnelle, la question a un sens : l’homme est-il autant incapable de dire « non » que de dire « oui » ?
Normalement, les deux vont de pair. Ceux qui croient que l’homme a la possibilité d’accepter librement le salut pensent évidemment qu’il a aussi la possibilité de le refuser. Et ceux qui pensent qu’il ne peut pas l’accepter librement, sans une œuvre transformatrice de Dieu qui produit en lui la foi et la repentance, croient aussi que l’homme ne peut pas refuser cette transformation. Ainsi, ceux qui sont sauvés n’auraient pas vraiment plus de choix que ceux qui ne le sont pas. Dans les deux cas, la volonté humaine n’y serait pour rien. En théorie, il serait possible d’imaginer que personne ne puisse se convertir sans le choix inconditionnel de Dieu, mais que, face à ce choix, l’homme pécheur pourrait tout de même le refuser.
Mais dans la pratique, je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un qui soutiendrait cette position. Ceux qui pensent que l’élection est inconditionnelle croient aussi que l’appel au salut est irrésistible.
Peut-on perdre le salut ?
Des cinq points qui fixent les contours du débat calviniste-arminien, celui-ci est le plus connu. De ce fait, il y a besoin de moins d’explications. I
l s’agit simplement de savoir si une personne réellement née de nouveau peut perdre son salut.
Il est incontestable qu’il existe d’innombrables cas de personnes qui semblaient bien converties, parfois depuis de longues années, qui se sont détournées du Seigneur et ne marchent plus dans la foi. La question n’est pas de savoir si de telles personnes existent, mais de comprendre quel est leur statut. Il existe quatre possibilités :
- Certains disent qu’il s’agit effectivement, dans certains cas au moins, de personnes qui étaient sauvées dans tous les sens du terme et qui sont de nouveau parmi les perdues. Si ces personnes ne reviennent pas au Seigneur, elles seront condamnées éternellement.
- D’autres affirment la même chose, mais pour eux, ces personnes ne peuvent jamais retrouver le salut. Ceux qui maintiennent cette position s’appuient sur le texte d’Hébreux 6.6. Paradoxalement, malgré ce texte très explicite, cette position est largement minoritaire parmi ceux qui disent qu’un véritable croyant peut perdre son salut. La grande majorité de ceux qui pensent qu’il est possible de perdre le salut pensent tout de même qu’une telle personne peut se convertir de nouveau. Ils s’appuient même sur Hébreux 6 pour cela.
- Parmi ceux qui croient qu’un véritable enfant de Dieu ne peut pas perdre son salut, la position largement majoritaire est que, malgré les apparences, de telles personnes n’étaient pas réellement nées de nouveau.
- Quelques-uns parmi ceux qui ne croient pas qu’un croyant puisse perdre son salut disent toutefois que de telles personnes sont toujours sauvées, puisque le salut n’est pas basé sur les œuvres de la personne, mais sur la grâce de Dieu.
L’enjeu de la question de la perte du salut est donc plus compliqué qu’il ne parait au premier abord. Alors qu’on aurait tendance à penser qu’il y a deux réponses possibles, en fait il y en a quatre. Se positionner sur ce point demande donc plus qu’un simple oui ou un simple non.
David SHUTES est pasteur, conférencier et enseignant biblique. Il est professeur à l’Institut Biblique de Genève (IBG), et dans différents instituts africains. Il est l’auteur de plusieurs livres. Vous retrouverez cet article sur son site : http://www.davidshutes.fr . C’est le 2e extrait de son livre : Calviniste, arminien, intermédiaire ou éclectique ?